Le paradoxe communautaire de Patagonia

Découvrez l'exemple de la communauté de Patagonia, qui contribue aujourd'hui au développement de la marque et à son rayonnement.

Noémie Kempf
15/10/2024
12 min de lecture
Portrait de Emmanuel Coltat Community Builder Patagonia
https://komuno.club/blog/exemple-communaute-patagonia

Les communautés de marque n’ont pas toutes une forme structurée. Et dans certains cas, elles ne découlent pas vraiment d’une stratégie consciente de la marque. Parfois, la communauté naît quasiment “d’elle-même”. Les membres se fédèrent autour d’une entreprise qui incarne naturellement leurs valeurs et pour laquelle ils ont envie de s’impliquer plus activement. C’est notamment l’exemple incarné par la communauté de Patagonia, qui s’impose depuis plusieurs années comme la marque militante par excellence. 

De l’annonce de son CEO qui souhaite reverser 100 % de ses bénéfices à des associations, aux étiquettes “vote the assholes out” (littéralement “votez contre ces trous du c**”) pour mobiliser ses clients à élire des écologistes, Patagonia a un positionnement ultra fort qui plaît à énormément de passionnés de nature et d’outdoors.

Dans le cadre de la rédaction de mon livre sur les communautés, j’ai eu la chance de découvrir les coulisses de la stratégie communautaire de la marque avec Emmanuel Coltat, PRO & Customer Service Manager chez Patagonia.

À ma grande surprise, j’ai surtout découvert que l’entreprise n’avait pas forcément de réelle ligne stratégique directrice en ce qui concerne l’animation et l’engagement de sa communauté. Néanmoins, en se concentrant sur la création de valeur humaine plutôt que sur la valeur commerciale, Patagonia nous montre que les marques peuvent aider à encadrer des communautés organiques parfois plus inclusives, diversifiées et dynamiques que les communautés axées sur des objectifs commerciaux directs.

Se fédérer spontanément : l’exemple de la communauté Patagonia

C’est en 2020 qu’Emmanuel rejoint Patagonia après une première vie professionnelle chez L’Oréal et LVMH, qui lui a donné envie de rejoindre une entreprise moins tournée vers le profit. Il y est en charge de l’aspect “pro”, soit l’aspect communautaire et commercial autour des clients professionnels de la marque comme :

  • les guides de haute montagne, instructeurs de pêche à la mouche, etc ;
  • mais aussi les associations et compagnies partenaires dont les employés ont accès à Patagonia.

Emmanuel a aussi une autre casquette : le Customer Service. Ce dernier est géré en interne par une équipe de 30 personnes dont il a la charge. L’entreprise garde donc la main sur son support, et répond directement aux demandes de ses clients. Ses employés sont donc en quelque sorte ses meilleurs ambassadeurs.

Cette double casquette se retrouve également dans les outils qu’utilise Emmanuel, puisqu’il pilote sur la même plateforme la communauté pro et le service client. Ce mélange des genres s'explique en partie par l'ancienneté de l’entreprise, qui s’est créée il y a plus de 50 ans. Résultat : Patagonia a malgré elle fédérer une réelle communauté autour de ses produits et de ses valeurs, mais sans réellement “stratégiser” sa définition.

Emmanuel m’a confié que ses collègues du marketing savent par exemple parfaitement définir les clients de la marque, mais un peu moins les contours la communauté qui gravitent autour de Patagonia. Néanmoins, Patagonia cherche toujours à toucher et fidéliser ses clients par le prisme de l’activisme, ne mettant pas uniquement en avant la qualité de ses produits, mais ses actions pour une consommation plus juste et durable.

L’activisme comme fer de lance communautaire

Les marques qui se positionnent comme des acteurs essentiels d'un mouvement culturel ou social créent des liens émotionnels avec les consommateurs. C’est le cas de Patagonia qui, sans stratégie claire, a réussi à faire émerger une communauté de clients qui, si elle n’a pas de structure définie, l’aide à atteindre des objectifs bien tangibles de notoriété et de croissance.

Patagonia n’a donc pas créé d’espace communautaire ni engagé de Community Builder pour animer ses communautés de clients (ou ne serait-ce que segmenter son audience). Elle s’est reposée de manière consciente (ou non) sur son activisme de marque pour créer un lien avec ses consommateurs. Son engagement transparaît non seulement dans ses produits (qui n’utilisent plus de néoprène depuis 15 ans, par exemple) que dans ses actions de RSE (en se battant contre des projets néfastes pour l’environnement et soutenant des associations écologiques).

Patagonia a également mis en place sa propre taxe environnementale. L'entreprise redistribue en effet une grande partie de ses revenus à des associations via 1% for the Planet. Elle fait de plus régulièrement d’importantes donations à des activistes et des collectifs qui ont besoin de soutien, sans forcément communiquer sur ce soutien financier. Il arrive même à Patagonia de demander à ce que son logo soit retiré pour que ses actions ne passent pas pour du green washing. Plus récemment, Yvon Chouinard, son dirigeant, a déclaré que le seul actionnaire de Patagonia serait désormais la planète, cédant ses parts de la société.

Générer de l’engagement sans se reposer uniquement sur les incentives : l’exemple de la communauté Patagonia

Cette approche organique du “laisser-faire” est d’autant plus surprenante que le secteur de l’outdoors est riche en bonnes pratiques communautaires. Emmanuel m’a par exemple parlé du club de vélo Rapha, qui propose à ses clients d’accéder à des promotions et évènements exclusifs en échange d’un membership de 100€. De son côté, Patagonia n’offre jamais davantage à ses clients pro, autre que des tarifs dédiés sur son site.

La marque ne fait donc pas dans les promotions temporelles, mais essaye plutôt de nourrir l’engagement de sa communauté de clients sur le long terme. Elle mise pour cela sur plusieurs leviers comme :

  • Le principe du peer to peer : Emmanuel participe à l’organisation de live talks avec de speakers inspirants (sur le surf et l’activisme par exemple, comme sujet pour fédérer la communauté de sportifs Patagonia, avec un surfeur afghan réfugié en Allemagne) ;
  • Le soutien à des actions en faveur de l’environnement : la marque brouille les lignes entre l’activisme écologique et ses campagnes marketing. Elle sensibilise ses clients à des actions associatives ou citoyennes pour protéger la nature et faire péricliter l’extension d’une station de ski, par exemple ;
  • Une newsletter envoyée à sa base clients une fois tous les 3 mois. Patagonia met en avant des contenus qui viennent de sa communauté d’experts afin d’apporter une valeur plus large à son audience.

En éduquant et en informant plutôt qu'en étant dans la vente et le transactionnel purs et durs, la marque fait mouche. Les clients se sentent plus à l'aise d'acheter chez Patagonia, une marque avec laquelle ils ont construit une relation profonde. Cette approche marketing nécessite néanmoins un engagement à long terme pour générer une énorme quantité de contenu sans but commercial clair et précis.

Qui sont les ambassadeurs de Patagonia ?

Même si elle n’a pas de stratégie communautaire à proprement parler, Patagonia mise tout de même sur des leviers qui sont propres à la communauté. A commencer par les ambassadeurs. Ceux de la marque sont des sportifs au sens large du terme. Contrairement à d’autres marques de sport comme Nike ou Adidas, Patagonia ne cherche pas la performance, mais le mindset. Elle s’intéresse donc aux passionnés d’outdoors (ski, escalade, pêche), pas aux superstars.

Ce choix permet à Patagonia de garder une communication plus authentique et accessible que ses concurrentes. En ne célébrant pas la performance, mais la passion, elle renforce son message militant. Ses ambassadeurs sont des Mr et Mme Tout le monde, bien implantés dans leur communauté locale et engagés auprès d’associations.

Idem pour ses ambassadeurs internes : ses employés. Emmanuel m’explique que l’activisme fait partie des critères de recrutement de l’entreprise. Les nouvelles recrues doivent matcher avec l’esprit sportif et les valeurs engagées de la marque.

Comment naviguer entre objectif lucratif et bien commun ?

Peut-être que cette volonté de ne pas structurer de communauté claire et définie part du besoin de la marque de ne pas chercher à l’instrumentaliser. Pour Emmanuel, cette volonté de ne pas tomber dans le greenwashing ou l’opération commerciale rend aussi la stratégie marketing de Patagonia un peu paradoxale, créant des débats internes parfois complexes à résoudre.

Même si elle est militante, Patagonia reste une entreprise qui doit payer ses employés et être rentable (ne serait-ce que pour ne pas accumuler les dettes). La finalité n’est pas la croissance à tout prix, mais c’est avec les profits que Patagonia peut aider les associations qui portent ses valeurs. D’autant plus que l’entreprise est de plus en plus ambitieuse sur son volet militant, ayant annoncé en septembre que 100 % de ses profits (non injectés dans l’investissement interne) seront redistribués à des causes environnementales.

Tout l’enjeu, pour une marque militante comme pour une entreprise qui souhaiterait fédérer une communauté, est donc de trouver l’équilibre entre la rentabilité et ses valeurs. C’est un dilemme qui avait déjà été évoqué par le fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard, qui a déclaré viser une croissance contrôlée. Un discours qui fait suite à des années de forte croissance et de dilution de l’ADN de la marque (comme l’illustrent certaines collaborations douteuses notamment celle avec JP Morgan).

Aujourd'hui, Patagonia n’est pas dans une logique de croissance pour la croissance.

C’est d’autant plus vrai pour sa branche européenne. Grâce à son marché beaucoup moins développé que celui des US où est basée la maison mère, elle a plus de marge de manœuvre pour s’engager et soutenir ses communautés satellites.

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