Dans le dernier épisode du podcast Community Centric, nous avons échangé avec Anna Sollogoub, responsable de la communauté C’est qui le Patron, la marque des consommateurs.
Après une dizaine d’années à évoluer dans le bain communautaire (et en particulier celui des communautés à impact), Anna a rejoint le collectif engagé, qui œuvre pour une juste rémunération des producteurs.
Elle nous explique comment trouver l’équilibre entre outiller ses membres pour répondre au mieux à leurs besoins, et leur laisser une liberté nécessaire pour trouver leur place au sein de la communauté…
Créer un collectif de producteurs et consommateurs engagés
Née en 2016 pendant la crise du lait, la marque C’est qui le Patron émerge dans un contexte de cours de la denrée historiquement bas. Ce dernier se traduit par une perte de revenus abyssale pour les producteurs de lait. Se crée alors une marque de consommateurs, mais aussi de producteurs dans la Bresse qui, à force de traction dans les supermarchés, va arriver à la table des négociations avec le directeur RSE de Carrefour.
C’est la convergence des luttes qui permet de co-construire une marque plus transparente et offrant une juste rémunération aux producteurs. Les prix de son premier produit, la fameuse brique de lait, sont en effet votés par les consommateurs sur des recommandations données par le collectif.
C’est qui le Patron n’est donc pas une entreprise comme les autres. C’est une coopérative qui permet à ses actionnaires (moyennant une participation symbolique d’un euro) de participer directement à la stratégie et à la constitution de la marque. Au total, ce sont désormais plus de 13 000 sociétaires consommateurs impliqués directement dans les décisions stratégiques et la vision de la coopérative.
Structurer or not structurer : telle est la question
Dans son quotidien de Community Builder, Anna est dans une dynamique très organique. Son rôle est, comme elle le résume, d’aider les sociétaires et de répondre à leurs besoins en structurant ce qui peut l’être. Mais C’est qui le Patron ne s’est pas donné de feuille de route stratégique, pour préserver le côté spontané de sa communauté.
Au sein de son équipe, Anna et ses collègues se partagent la gestion des différents profils de bénéficiaires. Les sociétaires, les producteurs, mais aussi les référents locaux… C’est en effet la force du collectif que de réunir des acteurs qui ne se rencontraient jusqu' alors pas du tout. Les producteurs et les consommateurs, bien sûr. Mais aussi les intermédiaires (fabricants et distributeurs).
Pour lier tout ce petit monde, Anna mise sur la raison d’être de sa communauté. C’est-à-dire, le fait de redonner à chacun le pouvoir d’agir (et qui se décline différemment selon ces 4 grands community personas). Les membres sont aussi unis par une vision très forte : construire un monde dans lequel ceux qui nous nourrissent sont rémunérés à leur juste valeur.
Quels sont les leviers de l’ascension au statut de love brand ?
Au-delà de l’engagement très fort de ses membres, C’est qui le Patron est une marque très appréciée. Ce statut de love brand a pris au fur et à mesure en s’appuyant sur les grands piliers de la coopérative ;
- La co-construction : le fait de faire voter chaque cahier des charges (par une dizaine de milliers de consommateurs) et de permettre à chacun de participer à fixer le prix juste de produits du quotidien est un levier d’appropriation très fort. Les clients de la marque peuvent ainsi dire qu’elle leur appartient et y apporter leur touche ;
- La transparence : la marque bénéficie d’une image plus humaine car elle est capable de reconnaître ses erreurs. La coopérative partage également des informations stratégiques à ses membres, notamment les fiches de paie de chacun de ses producteurs.
Booster l’engagement de ses membres en leur donnant la liberté de trouver leur juste place
Le statut de love brand de C’est qui le Patron joue - forcément - sur l’engagement de ses membres. Mais pour le booster, Anna a fait le choix de leur laisser à chacun la liberté de participer à la communauté à la hauteur du temps et des ressources qu’ils souhaitent lui dédier. Chacun peut participer, en fonction de sa disponibilité, à différentes activités :
- visites de vérifications chez les producteurs ;
- animations en magasin (puisque la marque ne dispose d’aucune force de vente ni d’équipe marketing) ;
- rencontres locales ;
- temps conviviaux pour construire les futures campagnes ou prendre des décisions plus stratégiques (comme la direction de la communauté, etc.)
Au sein de l’équipe d’animation, la même liberté est laissée à chaque collaborateur. Le fonctionnement en interne est très horizontal. Chacun se concentre en effet sur un groupe de bénéficiaires spécifiques, mais les canaux de communication restent ouverts. Tout le monde peut ainsi partager des suggestions sur tous les aspects de la stratégie communautaire.
L’absence de structure et de cadres stricts permet de ne pas limiter les membres (ni les collaborateurs) dans leurs envies. D’ailleurs, comme le souligne Anna, en Community Building, plus on se fixe de règle, plus les gens sont tentés d’en sortir. À l’inverse, une certaine forme de ‘chaos’ impulse la nécessité de se cadrer et de fédérer ses troupes.
Cette liberté laisse aussi plus de place à la créativité et à la prise d’initiatives De fait, chez C’est qui le Patron, de nombreuses initiatives ont éclos en dehors des équipes parisiennes.
Les challenges d’une communauté organique
L’enjeu pour Anna est donc de trouver sa place de Community Builder dans un collectif géré de manière très organique et décentralisée. Mais aussi de participer à définir en quoi elle peut être une ressource vitale pour l’objectif à atteindre que s’est fixé la marque.
Cela passe par :
- La préservation d’une culture familiale, tout en répondant aux besoins des membres pour ne pas diluer leur sentiment d’appartenance. Pour cela, Anna organise des échanges individuels. Elle s’appuie aussi sur un grand questionnaire (auxquels ont répondu plus de 1K membre) afin d’encapsuler les valeurs et les forces de la communauté ;
- Le renforcement du rôle des référents locaux pour faire grandir la communauté au niveau local et l’ancrer dans le terrain ;
- Accompagner les membres pour que chacun trouve sa place en fonction de sa capacité d’action.
Pour Anna, rester à l’écoute et proche de son terrain est un challenge. Mais c’est aussi la solution pour outiller ses membres et faire grandir la communauté tout en restant fidèle à ses valeurs. Selon elle, on ne passe jamais assez de temps à écouter et échanger avec ses membres, et ses consultations sont des opportunités de leur montrer qu’ils ne sont pas noyés dans la masse.
Cette communication est aussi cruciale pour mesurer et communiquer sur l’impact qu’a la communauté sur ses bénéficiaires. C’est qui le Patron ne se contente pas de voter un cahier des charges. La marque vérifie aussi qu’ils soit bien mis en place et qu’il bénéficie aux producteurs. En échangeant directement avec eux, Anna et ses équipes s’assurent d’être dans la bonne voie et prennent une bonne dose de carburant pour poursuivre leurs efforts !